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Processus

Se "raccommoder" grâce à l'art-thérapie

Par Le 24/05/2020

  Au fil de soi...

Se raccomoder signifie remettre en état. 

Se rafistoler signifie se réparer grossiérement ou plutôt, j'aime à penser avec les moyens du bord, comme on peut... 

Voilà ce que l'on peut faire en art-thérapie: se raccomoder, se rafistoler dans le sens métaphorique du terme. Et d'ailleurs, pour certains artistes il n'y a qu'un pas entre la métaphore et la réalité, comme avec YUNG CHENG Lin ou Eliza BENNET. 

Cheminer en art-thérapie, c'est pratiquer la métaphore de soi. C'est un espace où le patient, à l'aide du processus de création symbolisera ses traumatismes, ses conflits intérieurs, ses souffrances, qui n'ont pas pu être intégrer au cours du développement... L'espace art-thérapeutique  permet d' "amener le patient à jouer là où il n'est pas capable de jouer" Winnicott, Jeu et réalité.

Dans un processus d'accueil et de transformation de l'histoire, l'art-thérapie est selon moi la plus belle des thérapies (évidement je prêche ma paroisse !). L'art-thérapie permet non seulement de faire le "récit" de soi mais aussi de réactiver la pulsion de vie, de créativité qui habitent le patient. Elle le sort de sa zone de confort, elle lui ouvre des chemins qu'il ignorait sur lui-même. Son mental se met en veil. Ses mains racontent ce que son inconscient, son corps, ses émotions, son enfant intérieur ont à dire. Un dialogue interne se met en place où le verbal n'est plus le coeur du processus thérapeutique. 

L'absence ou l'insuffisance des soins maternels et l'art-thérapie 

Lorsque le bébé vient au monde et même bien avant, la maniére dont le nouveau-né va être porté, manipulé, nourri, chéri mais aussi la maniére dont on va lui parler, lui chanter des berceuses ou non, va constituer un bain multisensoriel. Ce dernier va constituer un élément fondamental dans son développement psychique voir même physique (concepts théorisés par WINICOTT avec le holding, handling et object presenting). Ce bain multi sensoriel ET émotionnel dans lequel il va  baigner, va petit à petit constituer son enveloppe psychique avec laquelle il devra composer toute sa vie. C'est ce que DIDIER ANZIEU élabore dans son livre le Moi-peau. C'est le sentiment de soi, c'est le processus d'individuation.  

"Le Moi-Peau désigne une figuration dont le moi de l’enfant se sert au cours des phases précoces de son développement pour se représenter lui-même comme moi à partir de son expérience de la surface du corps. L’instauration du moi-peau répond à un besoin d’une enveloppe narcissique et assure à l’appareil psychique la certitude et la constance d’un bien être de base.
Le moi-peau trouve son étayage sur trois fonctions de la peau:

C’est le sac qui retient à l’intérieur le bon et le plein de l’allaitement/biberon

C’est la surface qui marque la limite avec le dehors et contient celui-ci à l’extérieur

C’est un lieu et un moyen d’échange primaire avec autrui." Vincent Joly, professeur à l'université de Paris Descartes

Lorsque les soins maternels font défauts, l'enveloppe psychique/moi-peau va se fragiliser, voir dans les situations les plus graves (psychose), se morceler. 

Plus tard, ces défaillances vont entraîner des difficultés à se sentir sécurisé, des troubles d'attachements vont se répercuter sur l'environnement (enfant, famille, conjoint(e), travail...). Mais aussi sur la confiance en soi, l'estime de soi,  sur les capacités à se structurer, à mener un projet à terme, à se concentrer, difficultés attentionnelles,... 

Quelle analogie existe t'il entre les carences en soins maternels, le moi-peau et mon histoire de raccomodage me direz-vous ? 

La couture, le textile en art-thérapie, peut venir renforcer, aider à la reconstruction d'un Moi-peau fragilisé. Lors de mes observations cliniques, j'ai constaté une analogie entre la symbolique du tissu, de la couture : raccommoder, relier, délier, remplir l'intérieur, superposition de couche... et la peau.

En travaillant la matière textile, le patient donne forme à un autre corps, à une autre peau sur laquelle , il va pouvoir rejouer ses blessures et les panser. Parfois recréer une sorte de peau à peau. Le patient donne naissance à une création, met en forme une partie de sa psyché, de ses manques, de ses blessures.  Puis au fil des dispositifs, il va les transformer, les relier ou délier, leur donner une nouvelle forme, une nouvelle texture avec d'autres tissus pour enfin arriver à quelque chose de supportable, d'apaiser voir de réparer. Dés lors, une autre issue est possible. 

L'art-thérapie textile ( livre textile, confection de poupée thérapeutique, création de son premier nid, toucher sensoriel ...) va permettre également de travailler symboliquement les liens familiaux, les liens à soi, à son corps. Par le biais du fil, c'est le lien à soi, à la mère, au père ect que le patient réactualise et réinvente par le biais de ses productions. Ce processus engage parallélement un deuil symbolique. En déliant, en raccomodant, le patient laisse aller certains fonctionnements psychiques devenus trop coûteux énergétiquement.

Parfois, couper des fils se transforme en métaphore du cordon ombilical que l'on coupe pour ensuite renaître. Evidement, ce processus se retrouve avec d'autres dispositifs mais il me semble que le tissu et la couture soit particuliérement pertinente dans les problématiques de carences affectives précoces. 

Histoires cliniques

Lors de séances en art-thérapie à support textile auprés d'une jeune femme avec une structure psychotique, j'ai été surprise de la profondeur de cette séance. Je lui avais proposé de représenter une poupée en tissu. Elle représenta sa poupée avec un contour complétement morcelé, un intérieur sans consistance qu'elle avait elle même souligné. Elle a ensuite "joué" avec sa poupée ce qui lui a permit durant le temps de l'échange de diminuer son faux self. 

Mais également, chez une petite fille dont les soins maternelles étaient défaillants avec une représentation de son moi-peau sous forme de peau arrachée. Elle ressentait   le besoin de réparer, de recréer une nouvelle peau avec des formes animales.

En outre, j'ai observé auprès d'une dame portant en elle des carences en soins maternels précoce, un premier contact avec son enfant intérieur. Elle a pu prendre soin de lui en lui apportant les soins nécessaires. Concernant cette dame, les autres dispositifs n'avaient pas permis cet accés là. Les protocoles en art-thérapie textile ont été une étape décisive dans l'évolution de sa thérapie. Cela s'est traduit dans sa tenue vestimentaire (mettant en avant sa féminité), dans son rapport au monde (plus positif et plus sécurisé) et dans ses rêves.  "Le surgissement de rêves au cours d’une psychothérapie « doit être considéré non seulement pour le matériel psychique qu’il offre au psychanalyste, mais pour le témoin qu’il est d’une activité psychique en mouvement et structurante pour le sujet. Le rêve est le moyen de l’évolution psychique »" Dejour, Le corps d'abord, 2003

Lorsque l'alliance thérapeutique est faite et après plusieurs séances d'expression de soi via d'autres supports, je propose réguliérement des supports textiles où la personne va pouvoir coudre, découdre, arracher, raccomoder, superposer les couches, créer des formes (poupées, animaux, ...). Puis les faire évoluer à travers d'autres dispositifs.

Les troubles d'attachement et les défaillances issus d'un moi-peau fragile ne se travaillent pas seulement à travers les supports textiles que je propose mais également dans l'enveloppement, dans la contenance que j'améne au sein de mon cadre thérapeutique. Il faut en général plusieurs séances avant que la personne ne soit prête pour effectuer cette démarche avec le tissu et la couture. Tout en respectant le rythme de la personne, je m'adapte à elle, à son tissage intérieur. 

Angélique Marcos

Art-thérapeute 

Image: Paula Schlindwein