Il était une fois, deux fois, trois fois...les rituels en art-thérapie...
« Les rituels peuvent être perçus comme des stratégies de défense et de protection : Celles-ci peuvent être différentes d’un individu à un autre. Mais lorsqu’elles prennent une forme stable pour devenir, dans certains cas, une conduite quasi-obligatoire, elles constituent alors des rituels. (Picard, 1996 (a) : 29)
« Etudier la notion de rituels c’est découvrir l'existence de plusieurs termes très proches sémantiquement. On rencontre des termes comme « rituel » ou « routine ». Là aussi les théories divergent. Par exemple, certains sociologues, comme Javeau, justifient la différence entre rite et rituel par une dichotomie religieuse / profane. Le « rite » correspondrait à tout ce qui relève du religieux et du sacré, et le « rituel » serait associé à tous les actes profanes. »
Le rituel est donc un vaste sujet multidimensionnel. On peut l'appréhender par le biais de l'éthologie, de l'ethnologie, de la psychologie sociale, de la psychologie, de l'anthropologie... Il appartient à la fois, à la sphère intime et collective. Loin de moi de faire un plongeon dans l'étude des rites ou des rituels pour en faire émerger tous les tenants et aboutissants.
Il n’y a pas de culture sans rituel et pas d’individu sans rituel ou sans référence, sinon c’est l’aliénation. On voit également des rites structurants dans les traditions nationales ou régionales : dans l’art, l’artisanat, les costumes, les mœurs, l’alimentation, l’architecture…, qui forgent l’identité du groupe. On peut souligner le cousinage entre rite et habitude. On a tous des habitudes, presque des rituels. Le problème est que lorsque la raison des habitudes est ancienne, on a oublié la raison du rituel ; on est amené à reproduire, sans plus.
« Les rituels ont tendance à être dévalorisé de nos jours. On s’en moque, ou on voit leur côté formel et contraignant, et on les évacue. Certes, ils peuvent devenir enfermant s’ils sont rigidifiés et obligatoires alors qu’en fait, ils ont perdu leur âme. Ils ont sans cesse besoin d’être revitalisé, réactualisé. D'où l'intérêt d'y associer la créativité pour les renouveler.
Le rituel a pour fonction de donner des repères dans l’espace et dans le temps, il est un élément structurant de la vie, il rythme les saisons, les âges, il donne de la profondeur et de l’importance aux différents moments charnières de notre vie : naissance, mariage ou PACS, funérailles, fêtes, anniversaires, diplômes etc. »*
Les rituels jouent un rôle structurant au quotidien et apaisent les angoisses. Par exemple, l'histoire du soir avant le coucher est un moment privilégié entre le parent et l'enfant, qui est prédictible et sécurise l'enfant. Je le vois personnellement lorsque je couche mes enfants, ils ont tout un ensemble de petits rituels auxquels on ne peut déroger et je respecte profondément ce besoin. Je remarque comme beaucoup de parents que les rituels vont aider l'enfant à se séparer (aller se coucher, aller à l'école, …), à s'individualiser, à grandir en toute sécurité. La peur de l'abandon est naturellement présente chez l'humain. Cette peur peut être réactivée à chaque séparation, à chaque moment de transition et accentuée par différentes carences affectives, traumatismes, événements de vie douloureux... Notre quotidien est juché de mini deuils symboliques qu'il nous faut en tant qu'enfant et adulte traverser. Les rituels sont une aide précieuse.
Ils vont permettre le développement de la mémoire, de la confiance en soi, le développement de compétences telles que les capacités d’anticipation, d’organisation de l’espace et du temps, et donc, vont permettre la transmission."**
Les rituels sont donc des contenants qui permettent d'être contenus. Ils jouent un rôle de pare-excitation.
L'objet du rituel :
Le rituel trouve sa force dans un objet, un geste, une parole, un son, une odeur, une date clé (sapin de noël, œuf de pâque, alliance pour le mariage...) Ils sont les supports du rituel car ce dernier est concret. Il se matérialise à travers l'objet. Il vient symboliser le rituel.
Les rituels sont présents voir omniprésents dans le cadre en lui-même et dans certains de mes dispositifs que j'ai mis en place où les aspects socio-culturels sont devenues une source d'inspiration.
Lors des séances en art-thérapie, le cadre lui-même est un rituel toujours jalonné des mêmes gestes dans un ordre précis :
L'accueil à la porte qui marque le début de la rencontre (un salut verbal), l’échange verbale, la relaxation puis l'invitation à la création, l'échange sur la production. Je finis toujours la séance par la même phrase puis nous regagnons mon bureau où nous réglons les détails (règlements, prochaines prises de rdv...) et la séance se termine par un raccompagnement à la porte que j'ouvre et nous nous saluons.
Tout cela forme le contenant sécurisant pour la personne accueillie. Par sa répétition, sa prédictibilité il devient rituel. Il forme une enveloppe psychique essentielle au bon déroulement de la séance. A ces rituels peuvent s'en rajouter d'autres si le besoin se fait sentir. En effet, lors des séances auprès d'un jeune enfant qui avait un grand besoin de sécurité affective, je lui ai proposé de commencer et de finir la séance par l'écoute du son d'un bol chantant. Le son a eu ce rôle d'envelopper les sens, de marquer le début et la fin. Au sein de cet espace, c'était son lieu à lui. Il s'assurait à chaque séance que le bol était prêt à « chanter ».
La thérapie reprend les étapes de la vie où il y a une cassure, une blessure, un blocage dans l'évolution de la personne. En art-thérapie il s'agit pour la personne de rejouer ces événements pour les revisiter, les remanier, pour en faire quelque chose d'acceptable à travers le processus de création.
C'est à ce niveau que les dispositifs en art-thérapie vont pouvoir s'inspirer en partie des rituels, des rites déjà préexistant dans les différentes cultures.
J'accompagnais une personne qui souhaitait se défaire de sa part guerrière/masculine/agressive pour retrouver une paix intérieure. J'ai cherché du côté des rituels du deuil pour symboliser cette fin, cet « au revoir ». Je précise qu'il y a eu toute une phase d'expression avec d'autres supports auparavant. Cette personne était arrivée à un stade où ce « guerrier trop actif» empêchait sa part féminine de s'épanouir notamment sa créativité (propos recueillis directement de la personne).
J'ai découvert qu'en Écosse, il y a longtemps les personnes endeuillées constituaient des poupées avec des morceaux de vêtements du défunt. La poupée est un élément/outil utilisée depuis le début de l'humanité. Qu'elle soit utilisée durant des rites magiques, qu'elle représente une personne, qu'elle soit objet de sacralisation, de projection ou tout simplement objet de rencontre, de jeu, d'apprentissage entre un enfant et son univers, la poupée accompagne l'être humain depuis bien longtemps. Il suffit de visiter le musée Jacques Chirac, on la retrouve sur beaucoup de continents.
Je lui proposa alors de confectionner une poupée avec pour base 4 bâtons ficelés sous une forme de T et cette poupée représenta sa part guerrière qu'elle ne voulait plus. Elle la forma avec du papier journal et des bandes de plâtre puis l'habilla avec du tissus et accessoires en lien avec son histoire en partie. Un lien se créa avec cette poupée, elle exprima des émotions de tristesse, de reconnaissance pour la force qu'elle lui avait apporté durant ses moments difficiles.
Je m'inspire par la suite de Los dios de Muertos du Mexique où la population effectue des offrandes pour les défunts. Je lui propose alors de réaliser des offrandes pour l'aider (le guerrier) à passer dans l'autre monde. J'ai suivi les différents rituels que l’on retrouve lors des enterrements. Le linceul ainsi que les offrandes ont fait partis des étapes de son processus. Elle constitua elle-même ses offrandes puis lui déposa instinctivement à ses pieds. Beaucoup d'émotions l'envahirent. Elle le laissa partir … A la question où part il ? Elle répondra avec un discours proche du paradis, des étoiles, de la légèreté.
C'est aux séances suivantes que j'ai vu l'évolution : tenue plus féminine, poignée de main moins ferme, plus de souplesse dans le raisonnement, plus de lâcher prise dans sa créativité. Mais également, un rêve qu'elle qualifiera d'intense où elle prenait dans ses bras son enfant intérieur. Elle n'avait pas fait de rêve positif depuis des années.
Avec ce protocole, il eut un avant et un après dans sa thérapie. A cela, d'autres dispositifs auraient pu être proposés comme le chant ou la danse... D'abord une lettre de gratitude puis des objets : fleurs, bijoux, dessins...
Ce dispositif l’a mise en contact également avec sa spiritualité, ses croyances. Cela a apporté de la force et de la profondeur à son cheminement. Cette personne a par la suite mis en avant ses croyances. C'est en cela, que ce dispositif a ouvert un espace spirituel en elle, qui lui ait propre, intime.
Boris Cyrulnik dans son livre Psychothérapie de Dieu, explique que les croyances (évidement bienveillantes) sont des soutiens pour les patients atteints de traumatismes. Il explique que les recherches effectuées à ce sujet montrent qu'une personne racontant son traumatisme sans faire intervenir aucune croyance, à son amygdale qui s'affole. Mais si on lui demande de raconter à son dieu ou sous forme de prière le même épisode, son amygdale ne réagit pas du tout de la même manière, d'autres parties du cerveau s'active et apaise les émotions négatives. La foi en plus grand que soi soutenant et bienveillant serait une aide dans le processus de résilience.
Le rituel met en lumière une autre dimension oubliée de notre être : notre spiritualité.
« Les rituels sont une façon de rendre à la création un peu d'énergie que nous n'avons de cesse de recevoir. Ils ramènent l'aspect du sacré dans nos vies. Les rituels possèdent une part de mystère. Ils sont là pour nous rappeler que la vie ne se possède pas entièrement, que toujours quelque chose nous échappe. Il y a dans la vie de l'inexpliqué que le rituel matérialise et symbolise. »****
On assiste aujourd'hui à un renouveau du rituel : cercles de nouvelles lunes, tentes rouge,... Autour de ces rituels, on y retrouve des constantes comme s'asseoir en cercle, se tenir les mains, allumer des bougies, brûler de l'encens, ...
Pour Dominique Owen, formée à la psychologie sacrée, nous avons besoin de pratiques qui reconnectent au langage symbolique de l'âme et qui répondent aux besoins criants de la communauté. A la jonction entre la psychothérapie et la spiritualité, ils sont un complément remarquable. Alors que la psychologie démêle nos scénarios de vie et les traumatismes de l'enfance, le travail ritualisé, lui, ouvre la porte de l'âme humaine en créant notamment du sens, en impliquant le corps dans l'acte qui marquera le passage.
En art-thérapie, il appartient au patient d'interpréter si cela lui parle en termes de spiritualité ou non. Mais la culture, les rituels et l'art sont intimement liés.
Il me semble que les outils, les supports des rituels culturels tels que le conte, la poupée (sous toutes ses formes), le masque, le chant, la danse, la musique, allumer une bougie, etc. ..viennent chercher en profondeur la psyché pour l'amener à conscientiser tout en la soutenant. Les rituels viennent chercher l'être originel qui nous habite. Ils peuvent aider la personne à se révéler, à se recréer, à se relier aux autres. Le monde matérialiste, tel qu’il est, ne nous satisfait pas toujours ; même si la plupart des rites échappent à la rationalité, il nous faut de la transcendance. Décidément : « l’homme est un animal rituel ! » (Wittgenstein) ***
Angélique VINCHON, art-thérapeute
**https://www.cairn.info/revue-actualites-en-analyse-transactionnelle-2009-2-page-53.htm
***https://cafes-philo.org/2011/04/lhomme-et-les-rituels/
****magazine Inexploré « Rituels »